Présentation
Il s’agit de communautés structurées par un écotype turficole du Pin à crochets (Pinus mugo subsp. uncinata) /ou le Bouleau pubescent (Betula alba), qui forment des peuplements clairs [au moins 25 % de recouvrement admis (Rameau, 1996) pour la définition de telles forêts] et rabougris, ne dépassant généralement pas 15 m de haut. Ce Pin à crochet présent dans les tourbières a fait l’objet de controverses taxonomiques d’où il ressort qu’il peut aussi s’agir d’un hybride fixé entre le Pin à crochet et le Pin sylvestre (sous l’appellation Pinus X uliginosa Link). En tout état de cause, la morphologie de ces pins à crochets des tourbières boisées incluses dans les périmètres de nos sites pyrénéens ne suggèrent guère de parenté avec P. sylvestris.
Ces forêts, témoins des climats froids post-glaciaires, constituent le stade ultime (climax stationnel) de la dynamique végétale sur ces substrats tourbeux acides (Classe des Vaccinio uliginosi-Pinetea sylvestris H. Passarge 1968).
Le blocage de la dynamique végétale se fait au stade post-pionnier en raison de contraintes fortes dont les principales sont la pauvreté en minéraux assimilables (notamment l’azote et le carbone) et la permanence de la nappe d’eau en profondeur, qui ne varie que de quelques centimètres par an.
Ces communautés arborées font suite à des végétations spécialisées, initialement installées sur des replats ou des bas-fonds topographiques réceptionnant les eaux de ruissellement des versants adjacents. Se développent ainsi des végétations hygrophiles de bas-marais, riches en Cypéracées et Joncacées (CB 54.4) ; puis avec l’arrivée des Bryophytes édificatrices, le milieu évolue lentement vers des haut-marais par formation de dômes tourbeux par les Sphaignes. À ce stade, l’alimentation en eau est encore mixte (eaux de ruissellement et eaux de pluie). Les dômes tourbeux deviennent coalescents avec le temps (tourbières hautes 7110), créant un nouveau substrat, de nature entièrement organique, qui s’exhausse et s’affranchit peu à peu des eaux de ruissellement pour n’être plus tributaire que des eaux de pluies, plus acides et moins riches en nutriment. Cet exhaussement entraîne une imbibition moindre, permettant dans un premier temps l’installation de chaméphytes de la famille des Ericacées, ces derniers préparant à leur tour, lors de leur sénescence, l’arrivée du Bouleau dans les zones périphériques les plus humides et du Pin sur les bombements. La présence de ces arbres, par leurs besoins propres en eau, augmentera d’autant la période et la profondeur de non-imbibition du substrat au cours de l’année. Le schéma qui vient d’être décrit s’effectue à des vitesses différentes selon les situations micro-topographiques, expliquant la fréquente juxtaposition des différents stades évoqués ci-dessus.
Les prairies oligotrophes à Molinie bleue (Molinia coerulea subsp. caerulea), issues de la dégradation par le pâturage et la perturbation de l’alimentation en eau, se rencontrent également en périphérie de ces forêts tourbeuses.
D’autres contacts, sans liens dynamiques, s’établissent naturellement en périphérie de tourbières. Ils sont nombreux et variés mais les cartographies d’habitats, lors de l’établissement des documents d’objectifs, les intègrent rarement au sein de ces habitats 91D0 aux caractéristiques fonctionnelles bien différentes. En matière forestière, évoquons simplement, à l’étage montagnard, les hêtraies-(sapinières) acidophiles atlantiques (CH 9120).
Cet habitat n’est présent que sur un seul site Natura 2000 dans la région.
Le graphique ci-dessous recense les habitats d’intérêt communautaire au contact de l’habitat 91D0. Il différencie les surfaces recensées où l’habitat est pur de celles où il est mélangé à d’autres types d’intérêt communautaire.
Sans surprise, les forêts établies sur milieux tourbeux côtoient majoritairement un des stades dynamiques antérieurs que sont les tourbières hautes actives.
Ces communautés rares et originales se développent sur des substrats d’origine organique, constitués d’accumulation de sphaignes (tourbes), acides, pauvres en nutriments sous un climat de type montagnard, froid et humide une grande partie de l’année. L’épaisseur du substrat tourbeux dépasse en général 10 - 15 cm. De fait, l’alimentation en eau de ces milieux est excédentaire et se fait en fin de cycle uniquement par les eaux de pluie, expliquant la pauvreté en éléments minéraux (ombrotrophie). Les phases de jeunesse de ces peuplements peuvent s’accompagner d’alimentation en eaux (de ruissellement) plus minéralisées.
Les stations du type d’habitat 91D0 se caractérisent par leur niveau trophique très faible, un pH acide à très acide, titrant entre 4,5 à 5,5, la permanence d’un niveau aqueux sous la dépendance des eaux météoriques, au sein d’un contexte climatique montagnard atlantique à subalpin, froid et humide.
Ces différents critères sont schématisés dans les diagrammes ci-dessous.
Ces milieux ont pu souffrir de l’exploitation de la tourbe soit historiquement pour le chauffage, soit plus récemment à des fins horticoles (jardinerie) mais ces usages se perpétuent rarement sur les tourbières boisées qui rendent les conditions d’extraction plus délicates et onéreuses.
La gestion sylvicole à des fins de production ligneuse constituait jusqu’il n’y a pas si longtemps une menace bien plus prégnante :
- des coupes prélevant la totalité de pins ont également pu être réalisées au sein de ces peuplements ;
- les tentations d’augmentation de la production ligneuse ont entraîné l’introduction d’essences non autochtones, notamment l’Épicéa commun (Picea abies), plantation souvent précédées de tentatives de drainage des milieux
Toutes ces activités entraînent de profondes perturbations dans de tels milieux, peu résilients et de reconstitution très lente.
D’autres perturbations sont intervenues et ont pu néanmoins avoir un impact indirect sur ces habitats : ainsi le drainage de prairies humides ou des plantations résineuses en périphérie de tourbière, qui modifient l’économie de l’eau de ces dernières.
Ces forêts et les milieux qui les ont générés constituent des formations originales, témoins du passé, qu’il convient de préserver : leur rôle de réservoir d’eau douce est maintenant bien connu, de même que leur précieux témoignage de reconstitutions des végétations du passé par la palynologie, notamment d’âge holocène et post-glaciaire. Il s’agit d’un type d’habitats d’intérêt communautaire prioritaire.
Les tourbières boisées constituent un lieu d’accueil pour une faune spécialisée de répartition boréale, aujourd’hui en régression avec le réchauffement climatique.
Schéma fonctionnel synthétique
Un schéma fonctionnel est une représentation théorique des trajectoires possibles de l'habitat, sans ou avec gestion, et dans le cas des espaces forestiers, en fonction des usages antérieurs. Les trajectoires proposées ici constituent des exemples qui n’englobent pas tous les cas de figures possibles, certains d’ailleurs étant encore mal connus de nos jours.
Une des trajectoires principales possibles est figurée au centre ; des précisions au niveau de chaque phase dynamique sont apportées, lorsqu’il y a lieu, de part et d’autre de cette dernière en fonction de critères écologiques, variables d’un habitat à l’autre, notés en gras en « chapeau ».
La diagnose écologique correspond à l’intitulé de l'habitat ; il reprend les éléments stationnels et écologiques déterminants qui répondent à la définition de l'habitat (moins ambigües que les intitulés des typologies codées).
Données cartographiques
Le tableau et la carte ci-dessous montrent la répartition des surfaces cartographiées en « ptourbières boisées» (UE 91D0) dans le réseau régional de sites Natura 2000.
Code Site Natura | Nom Site Natura | Surface (en ha) |
FR7300831 | Quérigut, Laurenti, Rabassolles, Balbonne, la Bruyante, haute vallée de l'Oriège | 24,89 |
Total 91D0 | 24,89 |
Les pineraies et boulaies sur tourbières n’occupent que de faibles surfaces, à l’est de la chaîne pyrénéenne.
État de conservation
Etat de conservation d’un habitat naturel
Au sens de la directive, l’état de conservation d’un habitat naturel résulte de « l’effet de l’ensemble des influences agissant sur un habitat naturel ainsi que sur les espèces typiques qu’il abrite, et qui peuvent affecter à long terme sa répartition naturelle, sa structure et ses fonctions ainsi que la survie à long terme de ses espèces typiques sur le territoire européen des États membres » (art. 1). Cet état de conservation est favorable lorsque :
- son aire de répartition naturelle et les superficies qu’il couvre sont stables ou en extension ;
- la structure et les fonctions spécifiques nécessaires à son maintien à long terme existent et sont susceptibles de perdurer dans un avenir prévisible ;
- l’état de conservation des espèces qui lui sont typiques est favorable (art. 1).
Cette définition est appliquée à l’échelle d’un territoire biogéographique. Ainsi, à l’échelle nationale, le dernier rapportage du MNHN (BENSETTITI F. & PUISSAUVE R., 2015) conclut, pour l’habitat 9120 :
- Aire de répartition : « favorable » pour les trois domaines biogéographiques concernés. L’aire de répartition de l’habitat est jugée globalement stable ;
- Surfaces : Le domaine alpin (dont fait partie la chaîne pyrénéenne, n’a pas été évalué sur ce critère. Il est jugé « défavorable inadéquat » sur l’ensemble du territoire, les surfaces étant jugées stables ou en régression ;
- Structure et fonctions : « défavorable inadéquat » pour tous les domaines concernés ;
Perspectives : « défavorable inadéquat » pour tous les domaines concernés.
L’habitat « 91D0-Tourbières boisées» est évalué en mauvais état de conservation pour tous les domaines biogéographiques où cet habitat est présent. Cet habitat est naturellement absent du domaine méditerranéen. La tendance est à la stabilisation.
Etat de conservation sur le site et la parcelle
Un habitat forestier peut être considéré en bon état de conservation, à l’échelle d’un site Natura 2000, lorsque :
- ses structures caractéristiques sont présentes et les fonctions spécifiques et nécessaires à son maintien sont assurées ;
- il ne subit aucune atteinte susceptible de nuire à sa pérennité ;
- les espèces (végétales, animales et fongiques) qui lui sont typiques peuvent s'exprimer et assurer leur cycle biologique (CARNINO, 2009b).
Les indicateurs mobilisés pour le diagnostic peuvent être porteurs d’une signification négative (dégradation, régression de l’habitat) ou positive (représentativité, équilibre). Ces indicateurs proposés par le groupe d’experts du MNHN sont les suivants :
- Surface : tendances et causes d’évolution
- Composition floristique : intégrité de la composition dendrologique, typicité de la flore
- Dynamique de renouvellement : présence / absence des différents stades
- Bois morts : présence et activité de la faune saproxylique
- Atteintes : espèces exotiques envahissante, perturbations hydrologiques, dégâts au sol, impact des grands ongulés, fréquentation humaine, incendies.
Une grille d’analyse associée à chaque indicateur permet d’affecter une note globale à l’habitat ou à la station sur laquelle le diagnostic est réalisé.
C’est cette méthode qui pose le cadre méthodologique de l’évaluation à l’échelle du site. Celle-ci a fait l’objet d’une synthèse (CARASCO, 2013) des retours d’expérience en la matière, et d’autre part d’une réflexion de fond sur le sujet, dans le but d’aboutir à la formulation de propositions d’améliorations en vue de la mise au point d’une nouvelle version de la méthode qui met en évidence les points suivants :
- échelles de prise en compte des critères de surfaces et de fragmentation (habitat ou massif forestier) ;
- impossibilité de définir une référence unique qui représenterait un état de conservation idéal pour un type d’habitat forestier donné ;
- difficultés et précaution d’usage dans la construction de listes d’espèce typique ;
- diversification des critères de prise en compte des bois morts…